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[Quel contraste entre ce bruit de bavardage des meetings et ce grand silence que nous avons eu pendant plus d’une semaine de tout ce qui se passait de réel dans cet immense empire. Quel contraste : Nous avons les oreilles pleines de tout le bruit de ceux qui n’agissent pas. Et de tous ces immenses peuples qui agissent et qui souffrent, de tous ces immenses peuples qui travaillent et qui meurent, pendant une semaine et plus nous n’avons entendu rien. Une simple grève des agents russes des postes et des télégraphes, et, je pense, des célèbres sous-agents, avait suffi à nous replonger dans des conditions séculaires d’existence, et dans des conditions de connaissance que tout le monde croyait définitivement abolies. C’est une idée chère au monde moderne que les perfectionnements obtenus, notamment dans l’ordre des moyens de communication, par l’application de la science à l’industrie, et plus généralement par l’application de l’industrie à la science ont donné des résultats acquis, indéplaçables, irrémissiblement inamovibles. Je crois au contraire que de grandes commotions n’auraient pas beaucoup à faire pour nous replonger dans des conditions de vie antiques, et que presque instantanément elles replongeraient des parties considérables de l’humanité, sinon l’humanité tout entière, dans des conditions d’existence et de connaissance que l’on croyait irrévocablement dépassées. Eydtkuhnen est à notre porte, mais il y a eu immédiatement derrière Eydtkuhnen une barrière telle qu’au-delà, qu’immédiatement à cette barrière commençait un silence plus silencieux que les silences du moyen-âge et de l’antiquité, un silence total et parfaitement réalisé, sans infiltrations, sans pèlerinages ni odyssées. Ce