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pour savoir quelle haine il a contre eux, quelle répulsion, quelle aversion il a d’eux.

Et faute de cette reconnaissance on n’entend rien, on ne reconnaît rien non plus à la situation du prêtre Gapone ; ce serait évidemment commettre l’erreur la plus grossière, et par conséquent la plus communément répandue, que de se représenter le prêtre Gapone comme un chef, comme un meneur, comme un propagandiste révolutionnaire : il est un chef de chœur antique, un prêtre du Dieu vivant, un chef de supplication. De là vient qu’il ne s’est jamais entendu que momentanément et accidentellement avec les révolutionnaires, je veux dire avec ces révolutionnaires professionnels qui pourtant nous paraissent, à nous, si peu des révolutionnaires. Et l’on sait combien ce conducteur de tout un peuple de suppliants est le rival et au fond l’ennemi de tous ces révolutionnaires professionnels, et combien en retour il n’en est pas aimé ; quel est aussi son ascendant sur tout son peuple, sur tout son ancien peuple d’anciens suppliants, même sur les ouvriers, et qu’il ne semble pas que les chefs démocrates ou socialistes ou révolutionnaires aient un ascendant comparable. Ce qui semblerait prouver que les troupes elles-mêmes, les foules, le peuple, sont un peuple de suppliants et non point un peuple de révolutionnaires.

Leur déclaration n’est point comme la nôtre une déclaration des droits, et la preuve, c’est que, quand ils veulent en faire une, ils copient servilement cette nôtre déclaration française universelle des droits de l’homme et du citoyen ; leur véritable déclaration, celle qu’ils ne copient point, qu’ils n’ont pas besoin de copier,