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la réussite un peu insolente et comme injurieuse, est pour les Grecs le signe le plus infaillible de ce qu’un homme est marqué pour la Fatalité, — par la Fatalité. — D’innombrables Grecs ont désiré, convoité, poursuivi de toutes leurs forces les biens de ce monde, comme les modernes, autant que les innombrables modernes, et par toutes sortes de moyens : l’or, la puissance, les jouissances de toutes sortes ; ils étaient des hommes comme nous ; ils aimaient mieux le bonheur que le malheur et communément le beau temps que la pluie. Mais il n’en demeure pas moins acquis, et il n’en demeure pas moins entier, que le bonheur, entendu techniquement comme la réussite de l’événement, est pour les Grecs le signe le plus infaillible de ce qu’un homme est marqué pour la Fatalité. De sorte que dans cette rencontre, dans ce dialogue du suppliant et du supplié, qui fait toute la supplication antique, c’est le suppliant, quel qu’il soit, qui que ce soit, que ce soit le mendiant errant au long des routes, que ce soit l’aveugle misérable, que ce soit le proscrit, l’exterminé, le citoyen chassé de la cité, coupable ou non coupable, l’enfant chassé de la famille, coupable ou non coupable, ceci dans l’ordre politique et dans l’ordre de la paix, ou, dans l’ordre de la guerre, le prisonnier, le vaincu, le vieillard impotent, que ce soit l’orphelin ou au contraire le contre-orphelin, le vieillard dépouillé de sa descendance, toujours c’est le suppliant qui en réalité tient le dessus, qui tient le haut du dialogue, le haut de la situation.

Le supplié, lui, a une grande, une haute situation humaine. Mais ce n’est jamais qu’une toute misérable situation humaine. Quelle que soit sa situation, cette situation, le supplié n’a jamais que cette situation. Et