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militaires, particulièrement, supplications des armées de terre aux marins, qui sont plus avancés. Et retours brusques de barbarie, inverses, remontant, ou plutôt redescendant le sens des supplications ; puisque ce sont les supplications qui montent.

Pour entendre ce que je veux dire, pour saisir exactement et entièrement ce que signifie ce mot essentiel et titulaire et liminaire de Porché, les suppliants, il faut essayer de nous remettre un peu à parler français, autant que cela est permis à des hommes qui sont nés à temps pour vivre dans cet âge moderne. Il faut dépouiller cette idée de supplication, cette image de suppliants, il faut la nettoyer de toute idée de platitude. C’est chez les modernes qu’une supplication est une opération d’aplatissement. Mais gardons-nous d’étendre, en imagination même, en raisonnement, à des civilisations plus intelligentes, nos tares modernes. Chez les modernes une supplication est une opération d’aplatissement, une manifestation de platitude ; le prosternement est une prostration, physique et morale ; pour tout dire d’un mot, le suppliant est un candidat. Tel a été le retentissement de nos mœurs politiques parlementaires sur toute la vie, sur toutes nos relations sociales, et telle la déteinte. Infiniment plus profonde, et je pourrais presque dire incomparablement, infiniment plus vraie, toute autre, toute sage, toute renseignée la supplication antique. Dans Homère, dans les tragiques, le suppliant n’est point un candidat ; il n’est point un demandeur ; il n’est point un homme qui s’abaisse, qui s’humilie, même chrétiennement ; à peine ai-je besoin de dire qu’il n’est point un moderne, qui s’aplatit. La supplication antique, la seule qui étant digne de ce nom de supplica-