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grec, ou honnêtement tout faire en français. Traduire un poème du grec dans le français, cela ne peut avoir qu’un sens, un sens bien misérable, je l’avoue, mais cela ne peut avoir qu’un sens : essayer d’obtenir chez le lecteur français et pour le lecteur français par la traduction française un effet qui soit, mutations faites, autant que possible symétrique, homothétique, de l’effet obtenu chez le spectateur, chez le lecteur, chez l’auditeur grec et pour le spectateur, pour le lecteur, pour l’auditeur grec par le texte originel grec. Or ces noms de Οἰδίπους, Ὀδυσσεύς, Ἀχιλλεύς étaient tout familiers aux anciens Grecs, et quand ils rencontraient ces noms dans le discours, ils n’étaient non plus surpris de les y rencontrer que nous ne sommes surpris de rencontrer dans nos discours ces noms si répandus de Henri, d’Albert ou de Meunier. Ils disaient exactement Κρέων comme nous disons Durand. Il vaut donc mieux, il est plus intelligent, il est, au fond, plus exact et mieux traduit, que dans nos traductions nous trouvions à ces mêmes endroits des noms qui non plus ne nous surprennent pas. Quand je trouve Akhilleus dans une phrase française, inopinément je reçois un heurt, un certain choc, une impression d’hétérogène, de corps étranger, que par définition le Grec ne recevait, absolument pas, au même endroit. Est-ce là ce que l’on demande ? Est-ce là ce que l’on veut obtenir ? Est-ce là ce que se propose une traduction ? de faire subir au moderne, à de certains moments bien déterminés, un traitement que l’ancien ne subissait point à ces moments, de faire faire à celui qui lit la traduction précisément un sursaut que l’on est assuré que l’originel ne faisait pas. Quand je trouve Akhilleus dans une traduction, je bronche, parce que