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Lui-même Leconte de Lisle, même traducteur, il ne se conforme point jusqu’au bout à sa doctrine. Il dit Oidipous, mais il dit Sophocle, et non point Sophoclès. Et il dit Homère. Et son éditeur le dit encore beaucoup plus que lui. Et lui-même Leconte de Lisle, voici comme on m’écrit qu’il nomme les sept tragédies de Sophocle : Oidipous-Roi, Oidipous à Kolônos, Antigone, Philoktètès, Aias, Elektra.

L’éditeur, en pareille matière, quand même il serait, comme était Alphonse Lemerre, un prince de l’édition, et qui ait attaché son nom à tout un grand mouvement poétique inoubliable, quand même il serait un somptueux, un très notable commerçant, par cela seul qu’il exerce la marchandise, l’éditeur est ramené, automatiquement, à des conditions de vie plus communes, à des conditions de langage plus naturelles, à des conditions de commerce et d’annonce plus actuelles, plus simples. Leconte de Lisle peut dire Oidipous, Odysseus, Akhilleus : M. Lemerre, dans ses catalogues, sur ses couvertures, dit et annonce Eschyle, Homère, Sophocle, Euripide, Hésiode, — Virgile, Horace, — car la même question se pose, moins aiguement, mais elle se pose pour les Latins. C’est que M. Lemerre en vendait. On peut encore écrire Sophoclès, par une espèce de gageure et d’amusement, mais on ne peut vendre que du Sophocle. Et encore on a bien du mal à en vendre.

J’ai peur qu’il n’y ait ici dans Leconte de Lisle une survivance, un héritage de cette basse manie des romantiques d’épater le bourgeois. Car enfin il faut choisir : ou lire dans le grec, ou parler, écrire dans le français si l’on a ce malheur, de faire une traduction. Il faut lire, écrire, commercer, converser dans le