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toute sa vie comme un gueux de quatre semaines. On ne peut pas demander à un moderne cette forme de patience dans le travail, ce consciencieux à la fois éternel et instantané, immédiat et idéal, direct et infini, qui au moyen-âge résidait aux cœurs des humbles de tout un monde. Si Leconte de Lisle avait mis tout un mois pour traduire les 77 premiers vers d’Œdipe roi, Œdipe roi tout entier, quinze cent trente vers, je dis 1530, lui demandait vingt mois ; Sophocle tout entier, sept tragédies, qui font un sept cinquante, lui demandait cent quarante mois, douze ans. Eschyle, qui fait un sept cinquante, douze ans. L’Iliade, qui fait un sept cinquante, douze ans. L’Odyssée, qui fait un sept cinquante, douze ans. Hésiode, un sept cinquante, douze ans. Nous voici à soixante ans. Il ne lui serait pas resté une heure pour être ce qu’il était, c’est-à-dire Leconte de Lisle, un des plus grands poètes français, un des plus grands poètes modernes.

Et je n’ai compté ni Horace, texte et traduction, ni Euripide, traduction nouvelle, ni Virgile, texte et traduction. Et ici je m’aperçois que sous une forme éminente et dans un cas particulièrement éminent nous rejoignons ici cette ancienne contrariété intérieure des méthodes historiques prétendues scientifiques, — je dis ancienne parce que j’ai déjà pu en signaler l’importance capitale, — premièrement en ce sens que de telles méthodes conduiraient le traducteur, grand poète moderne, à mettre beaucoup plus de temps pour faire la traduction d’une tragédie que le premier poète, antique, étant donné leur fécondité connue, n’en avait mis à faire le texte même ; deuxièmement en ce sens qu’elles conduiraient le même poète moderne à mettre