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gardé de ses relations professionnelles et généralement de toutes ses relations avec le journal dont il était devenu ainsi le collaborateur occasionnel, et dont j’ajouterai qu’il serait à souhaiter qu’il devînt régulièrement le collaborateur. Que notre collaborateur se rassure. Je le dirai. Je ne le ferai point seulement comme un devoir de ma charge. Mais je le ferai comme accomplissant un voyage de retour vers un passé qui fut heureux. S’il faut dire du bien de Herr et de Jaurès, nul ne le fera mieux que moi. Nul autant que moi n’en a l’habitude et n’en sait la manière. Ce fut mon premier, et longtemps mon seul métier. Ce fut mon métier pendant plusieurs années, pendant toutes les années de mon apprentissage.

En ce temps-là, au temps de Ronsard, et même de Hérédia, Jaurès avait accoutumé de me dire : Vous, Péguy, vous avez un vice. Vous vous représentez, vous avez la manie d’imaginer la vie de tout le monde autrement que les titulaires eux-mêmes n’en disposent. Et d’en disposer à leur place, pour eux. — C’est qu’étant simple citoyen j’ai le recul nécessaire. Situé dans le simple peuple, je vois, comme tout le monde, beaucoup de mouvements que les grands ne voient pas.

La dernière fois, donc, la dernière fois que je vis Jaurès, dans ces conditions, et je ne l’ai jamais revu non plus dans aucunes autres conditions, ce fut précisément pendant les mois qu’il préparait ce journal qui est devenu l’Humanité. Les vieilles gens se rappellent encore tout ce que l’on attendait de ce journal en formation. Le journal de Jaurès ! on en avait plein les années à venir. Depuis des années on savait bien, on avait bien dit que Jaurès finirait par faire son journal. Enfin