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expliquer, au lieu d’agir. Et les lâches sont des gens qui regorgent d’explications.

J’ai connu un Jaurès poétique. Une admiration commune et ancienne, en partie venue de nos études universitaires, nous unissait dans un même culte pour les classiques et pour les grands poètes. Il savait du latin. Il savait du grec. Il savait énormément par cœur. J’ai eu cette bonne fortune, — et cela n’a pas été donné à tout le monde, — j’ai eu cette bonne fortune de marcher aux côtés de Jaurès récitant, déclamant. Combien d’hommes ont connu les poètes par la retentissante voix de Jaurès ? Racine et Corneille, Hugo et Vigny, Lamartine et jusqu’à Villon, il savait tout ce que l’on sait. Et il savait énormément de ce que l’on ne sait pas. Tout Phèdre, à ce qu’il me semblait, tout Polyeucte. Et Athalie. Et le Cid. Il eût fait un Mounet admirable, si la fortune adverse ne s’était pas acharnée à faire de lui un politicien. Il était venu au classique peut-être plus par un goût toulousain de l’éloquence romaine. Et je devais y être venu un peu plus peut-être par un goût français de la pureté grecque. Mais en ce temps-là on n’envenimait point ces légers dissentiments. Les esprits étaient à l’unité. On n’y regardait point d’aussi près. Tout Toulousain qu’il fût d’origine, il s’élevait aisément, parfaitement, naturellement, à l’intelligence et au goût de ces poètes parfaits de la vallée de la Loire, et des environs, qui sont la moelle du génie français, du Bellay, l’immortel Ronsard. Il savait les sonnets. Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle. Dieu veuille que ces révélations compromettantes ne lui fassent point trop de tort dans sa circonscription.

Il n’y avait d’accidents que quand se rappelant qu’il