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Ces vieux enseignements sont à jamais perdus ; nous commençons généralement nos semaines en nous abreuvant d’ennuis, de travail, de présence ; et nous les continuons, et nous les finissons comme nous les avons commencées ; nous rentrions donc à Paris ce matin de commencement de semaine, — était-ce un lundi, était-ce un mardi, était-ce un autre jour, nul aujourd’hui ne le sait, — mais ce que chacun sait, et ce que nul désormais n’oubliera, c’est le commencement de semaine que fit de lui-même ce jour inoubliable.

Comme tout le monde j’étais rentré à Paris le matin neuf heures ; comme tout le monde, c’est-à-dire comme environ huit ou neuf cents personnes, je savais à onze heures et demie que dans l’espace de ces deux heures une période nouvelle avait commencé dans l’histoire de ma propre vie, dans l’histoire de ce pays, et assurément dans l’histoire du monde.

Si ces cahiers n’étaient pas les cahiers, c’est-à-dire s’ils étaient une revue comme toutes les revues, et si je me proposais d’écrire un article comme on en écrit pour toutes les revues, touchant à la fin de ce premier cahier que j’ai pu faire, ce serait ici le commencement de mentir ; ayant à parler d’un événement aussi capital, j’emprunterais le langage noble, le grand style, je m’exciterais ; mais nous nous sommes précisément institués pour donner, autant que nous le pourrions, des notations exactes, scrupuleuses, patientes.

Nous étions donc venus à Paris débarrassés tout de même un peu des soucis antérieurs ; le roi était parti, en bon état ; c’était un gros souci de moins ; il ne restait plus qu’un monde connu, le monde exploré des soucis