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ce jour, écoutons la prière à Bounaberdi ; grand comme le monde :

Souvent Bounaberdi, sultan des Francs d’Europe,
Que, comme un noir manteau, le semoun enveloppe,
Monte, géant lui-même, au front d’un mont géant,
D’où son regard, errant sur le sable et sur l’onde,
Embrasse d’un coup d’œil les deux moitiés du monde
Gisantes à ses pieds dans l’abîme béant.

Il est seul et debout sur son sublime faîte.
À sa droite couché, le désert qui le fête
D’un nuage de poudre importune ses yeux :
À sa gauche la mer, dont jadis il fut l’hôte,
Élève jusqu’ici sa voix profonde et haute,
Comme aux pieds de son maître aboie un chien joyeux.

Et le vieil Empereur, que tour à tour réveille
Ce nuage à ses yeux, ce bruit à son oreille,
Rêve, et, comme à l’amante on voit songer l’amant,
Croit que c’est une armée, invisible et sans nombre,
Qui fait cette poussière et ce bruit pour son ombre,
Et sous l’horizon gris passe éternellement !

prière

Oh ! quand tu reviendras rêver sur la montagne,
Bounaberdi ! regarde un peu dans la campagne
Ma tente qui blanchit dans les sables grondants ;
Car je suis libre et pauvre, un Arabe du Caire,
Et quand j’ai dit : Allah ! mon bon cheval de guerre
Vole, et sous sa paupière a deux charbons ardents !