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de sérénité, cette impudeur. Faire de mauvais vers lui était parfaitement égal, pourvu que tous les matins il fît, il eût son compte de vers. Il pensait qu’il valait mieux faire des mauvais vers que de ne pas en faire du tout. Il était comme un grand fleuve. Il pensait qu’avant tout, il faut assurer, entretenir le courant. Il était comme un grand fleuve, qui ne refuse point, qui ne se refuse point de rouler des eaux sales et jaunes, à certains jours, parce qu’avant tout il faut rouler des eaux, et qu’il faut rouler des eaux sales et jaunes, certains jours, pour que viennent, certains autres jours, les eaux lucides, les eaux transparentes, les eaux claires et bleues. Toutes les faiblesses lui paraissaient meilleures que l’odieuse stérilité. Et qui sait d’ailleurs si ces eaux que du rivage nous jugeons jaunâtres, saumâtres, sales, lui-même, le père fleuve, il ne les aimait pas autant.

Et dans ces coulées de faiblesses, quels réveils imprévus. Quel beau vers, soudain, quelle annonce, quelle promesse, quelle anticipation,

Le bruit des lourds canons roulant vers Austerlitz,

ou quel ressouvenir des beaux poèmes à venir ; quelle remontée, du futur ; ouvrier avant tout, en ce sens, ouvrier de l’écriture en vers, il a eu sa récompense enfin, et cette récompense était littéralement un salaire ; ouvrier de tous les matins, on oublie trop aujourd’hui combien de fois il avait essayé, fait les poèmes qu’il a définitivement réussis. La mémoire impérieuse que nous avons gardée de ces poèmes définitifs, et qui s’est imposée, qui s’impose à nous aujourd’hui, qui nous