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Ils allaient, l’arme au bras, front haut, graves, stoïques,
Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
Le reste de l’armée hésitait sur leurs corps
Et regardait mourir la garde. — C’est alors…

Ô Waterloo ! je pleure et je m’arrête, hélas !
Car ces derniers soldats de la dernière guerre
Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait dans les clairons d’airain !

Ces vers sont tellement faits, s’impriment dans la mémoire si souverainement, qu’ensuite ils se représentent tous ensemble, sur un seul et vaste plan de représentation, et qu’il n’importe plus par quel bout l’on se prend à se redire le poème :

Comme s’envole au vent une En un clin d’œil,
Comme s’envole au vent une paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
Et cette plaine, hélas ! où l’on rêve aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui !
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
Tremble encore d’avoir vu la fuite des géants !

Napoléon les vit s’écouler comme un fleuve ;

[Singuliers effets d’optique dans nos singulières mémoires : quarante ans sont passés, moins de quarante ans, trente-sept ans et quelques mois, de Waterloo à ces Châtiments, Jersey, 25-30 novembre 1852 ; et dans nos mémoires, il nous semble qu’il y a un espace énorme, un