Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêlés ! Et cette prodigalité de feuilles blanches répandues dans le poème ! Toutes ces pages pleines de silence, toutes ces blanches pages d’attente que Péguy devait plus tard recouvrir de sa belle écriture et de ce qu’allait lui inspirer son cœur enfin trouvé, elles disaient à quelques-uns d’entre nous : « Rêvez et attendez, nous sommes partis pour une longue marche. On ne peut tout dire à la fois… » Mais dans ces pages encore muettes, les compagnons marxistes, les conjurés de la rue Cujas n’entrevoyaient que trop bien le rêve encore indécis, la pensée qui se formait, quand ils lisaient les pages noires. Péguy sentit leur inquiétude, descendit jusqu’au fond de leur silence alarmé. Pourquoi ne pas le dire ? il fut aussi humilié, car il était un auteur comme nous, et comme nous sensible au succès. Décidément il faisait fausse route. Il fallait renoncer à poursuivre le voyage avec les anciens camarades. Il n’avait plus rien à leur dire. Il n’avait qu’à s’en aller… Et laissant là la boutique et les grimoires sociologiques de toutes langues et de tous pays qui faisaient de ces quelques mètres carrés perdus au milieu de Paris, une Babel socialiste, il sortit sans éclats, emportant son trésor, les centaines de volumes invendus de sa Jeanne d’Arc, qui dans ses silences et ses blancs enfermait toute sa vie de demain… »

Par les trois décisions qu’il venait de prendre, Péguy se vouait délibérément à la pauvreté.

La pauvreté ! Toute sa vie il en aura le goût. Pauvreté, mais non misère ! Il a bien marqué la différence entre ces deux états dans sa préface à Jean Coste (Cahiers du 13 juin 1901) que l’on trouvera au cours de ce recueil. Dans cette prime ardeur de sa jeunesse Péguy