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Comment ne pas imiter ce peuple, dont nous sommes, que nous sommes ; c’est-à-dire comment ne pas nous imiter nous-mêmes, comment ne pas être de notre propre race ; comment ne pas nous préparer nous-mêmes à recommencer perpétuellement demain matin ; commençons donc par nous mêler aux amusements de notre peuple, puisque aussi bien ces amusements sont le secret de sa force, lui donnant les temps de halte et les points de rejaillissement ; indispensables ; regardons passer le peuple qui regarde passer le roi ; nous-mêmes regardons passer le roi ; voici le cortège ; brouhaha, rumeurs, et presque immédiatement l’impression que tout le cortège a ceci de commun, qu’il marche d’un même trot allongé, parfaitement cadencé, comme un très grand jouet mécanique ; des voitures qu’on devine ; autant et plus qu’on ne les voit ; au cœur du cortège, on ne voit plus rien : c’est le roi, et le président de la République ; ici deux haies mouvantes, de tous les deux côtés, comme deux gros troupeaux se confondant presque en un mouvant troupeau énorme ; d’énormes croupes de chevaux ; ce ne sont plus que ces croupes de chevaux qui défilent et passent ; on ne voit pas les cuirassiers qui montent ces chevaux, parce qu’ils sont plus haut que le regard ; c’étaient des hommes géants sur des chevaux colosses ; on était au premier rang ; c’est fini ; mais l’impression générale et dominante qui seule reste est d’un immense rythme automatique, d’un trot allongé, aisé, bien articulé, enlevé pourtant, commun à tout le cortège, qui enlevait tout le cortège au long du sol et faisait qu’il était déjà passé ; ce mouvement commun, ce rythme premier commandait tout le spectacle ; tous ces gens qui défilaient pour nos amusements et qui for-