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qui se recommandait de Jaurès. Péguy donna son adhésion au parti socialiste et fut délégué à divers congrès par un groupe d’Orléans. C’était le temps de l’affaire Dreyfus. « J’ai connu à Normale, me dit un de ses camarades, un Péguy extrémiste, fanatique, presque sanguinaire ; il me faisait l’effet d’un monstre. » Diable ! Par ailleurs nous savons qu’à cette date, Péguy fut vraiment heureux. Pourquoi donc ? L’explication m’enchante. Il paraît que jusqu’à ce moment Péguy et ses amis se trouvaient dans un état de stagnation sentimentale, vraiment sans cœur vis-à-vis des affaires publiques, étrangers à tout intérêt national. Tout d’un coup les plus grands espoirs envahirent ces jeunes intellectuels, ardents et naïfs. Ils connurent le plaisir de marcher en troupeau. Péguy voyait enfin le monde secoué par une idée, les ouvriers et les bourgeois prêts à se sacrifier pour elle. Son optimisme était satisfait ; son regard sur l’horizon, immense. Nul doute que ce ne fût sous la forme la moins barbare le cataclysme, annoncé par Marx, qui doit précéder l’établissement du socialisme. Péguy décida qu’il lui fallait sa liberté pour remplir ce qu’il jugeait désormais devoir être sa « mission ».

« J’étais à l’École Polytechnique, me raconte Charles de Peslouan. Péguy m’écrivit de venir le voir le dimanche suivant. L’après-midi que nous passâmes dans la cour de la rue d’Ulm demeure un des pôles de notre vie commune. Il y a pour tout être de ces jours de confidence et de sincérité qui émergent dans l’océan des souvenirs. Péguy m’annonça qu’il quittait l’École et qu’il allait s’associer à une maison d’édition ; qu’il se mariait, et enfin qu’il allait publier sa