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de départ le néant ? L’abîme initial fût resté à tout jamais en repos, si le Père éternel ne l’eût fécondé. À côté du fieri, il faut donc conserver l’esse ; à côté du mouvement, le moteur ; au centre de la roue, le moyeu immobile. Théoctiste nous a bien montré que seule l’hypothèse monothéiste se prête à la réalisation de nos idées les plus enracinées sur la nécessité d’une justice supérieure pour l’homme et l’humanité. Ajoutons que si le mouvement a existé de toute éternité, on ne conçoit pas que le monde n’ait pas atteint le repos, l’uniformité et la perfection. Il n’est pas plus facile d’expliquer comment l’équilibre ne s’est pas encore rétabli que d’expliquer comment l’équilibre s’est rompu. Si le tireur dont nous parlions hier tire depuis l’éternité, il a déjà dû atteindre le but.

Euthyphron.

« Nous touchons ici aux antinomies de Kant, à ces gouffres de l’esprit humain, où l’on est ballotté d’une contradiction à une autre. Arrivé là, on doit s’arrêter. La raison et le langage ne s’appliquent qu’au fini. Les transporter dans l’infini, c’est comme si l’on prétendait mesurer la chaleur du soleil ou du centre de la terre avec un thermomètre ordinaire. Le développement particulier dont nous sommes les témoins n’est que l’histoire d’un atome ; nous voulons que ce soit l’histoire de l’absolu, et nous y appliquons les lignes d’un arrière-plan situé à l’infini. Nous confondons les plans du paysage ; nous commettons la même erreur que celle à laquelle on est exposé en déchiffrant les papyrus d’Herculanum. Les différents feuillets se pénètrent réci-