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travaillé pour l’œuvre divine sentira l’œuvre divine accomplie, et verra la part qu’il y a eue. Alors l’éternelle inégalité des êtres sera scellée pour jamais. Celui qui n’a fait aucun sacrifice au bien, au vrai retrouvera ce jour-là l’équivalent exact de sa mise, c’est-à-dire le néant. Il ne faut pas objecter qu’une récompense qui n’arrivera peut-être que dans un milliard de siècles serait bien affaiblie. Un sommeil d’un milliard de siècles ou un sommeil d’une heure, c’est la même chose, et, si la récompense que je rêve nous est accordée, elle nous fera l’effet de succéder instantanément à l’heure de la mort. Beatam resurrectionem exspectans, voilà, pour l’idéaliste comme pour le chrétien, la vraie formule qui convient au tombeau.

« Un monde sans Dieu est horrible. Le nôtre paraît tel à l’heure qu’il est ; mais il ne sera pas toujours ainsi. Après les épouvantables entr’actes de férocité et d’égoïsme de l’être grandissant, se réalisera peut-être le rêve de la religion déiste, une conscience suprême, rendant justice au pauvre, vengeant l’homme vertueux. « Cela doit être ; donc cela est », dit le déiste. Nous autres, nous disons : « Donc cela sera » ; et ce raisonnement a sa légitimité, puisque nous avons vu que les rêves de la conscience morale peuvent fort bien devenir un jour des réalités. On conçoit ainsi une conscience qui résume toutes les autres, même passées, qui les embrasse en tant qu’elles ont travaillé au bien, à l’absolu. Dans cette pyramide du bien, élevée par les efforts successifs des êtres, chaque pierre compte. L’Égyptien du temps de Chéphrem dont nous parlions tout à l’heure existe encore par la pierre qu’il a posée ; ainsi sera-t-il de l’homme qui aura collaboré à l’œuvre d’éternité. Nous vivons en