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n’a pas encore appris que la plus grande sottise qu’on puisse commettre est de se faire tuer pour quoi que ce soit.

« Parfois, je conçois ainsi Dieu comme la grande fête intérieure de l’univers, comme la vaste conscience où tout se réfléchit et se répercute. Chaque classe de la société est un rouage, un bras de levier dans cette immense machine. Voilà pourquoi chacune a ses vertus. Nous sommes tous des fonctions de l’univers ; le devoir consiste à ce que chacun remplisse bien sa fonction. Les vertus de la bourgeoisie ne doivent pas être celles de la noblesse ; ce qui fait un parfait gentilhomme serait un défaut chez un bourgeois. Les vertus de chacun sont déterminées par les besoins de la nature ; l’État où il n’y a pas de classes sociales est antiprovidentiel. Il importe peu que saint Vincent de Paul n’ait pas été un grand esprit. Raphaël n’aurait rien gagné à être bien réglé dans ses mœurs. L’effort divin qui est en tout se produit par les justes, les savants, les artistes. Chacun a sa part. Le devoir de Gœthe fut d’être égoïste pour son œuvre. L’immortalité transcendante de l’artiste est à sa façon moralité suprême, si elle sert à l’accomplissement de la particulière mission divine dont chacun est chargé ici-bas.

« Pour moi, je goûte tout l’univers par cette sorte de sentiment général qui fait que nous sommes tristes en une ville triste, gais en une ville gaie. Je jouis ainsi des voluptés du voluptueux, des débauches du débauché, de la mondanité du mondain, de la sainteté de l’homme vertueux, des méditations du savant, de l’austérité de l’ascète. Par une sorte de sympathie douce, je me figure que je suis leur conscience. Les découvertes