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dire, qu’il y faut un complément de détermination, que l’histoire n’est rien si elle n’est pas l’histoire de quelque événement, que l’histoire en général n’est rien si elle n’est pas l’histoire du monde et de l’humanité. Si donc, et c’était la première cause pour laquelle nul aujourd’hui n’avancerait plus que l’histoire est sur le point d’aboutir et de se clore, si donc l’histoire de l’humanité acquise est loin d’être acquise elle-même, comment l’histoire d’une humanité qui n’est pas acquise elle-même serait-elle acquise ; et quand l’histoire du passé n’est pas près de s’achever, tant s’en faut, comment l’histoire du futur serait-elle près de se clore ; nous touchons ici au secret même de cette faiblesse moderne ; on sait aujourd’hui, on a reconnu, généralement, que la plupart des idées et des thèses prétendues positives ou positivistes recouvrent des idées et des thèses métaphysiques mal dissimulées ; cette idée de Renan, que nous considérons en bref aujourd’hui, qui paraît une idée historique modeste purement, et simplement, cette idée que l’histoire touche à son aboutissement et à sa clôture, implique au fond une idée hautement et orgueilleusement métaphysique, extrêmement affirmée, portant sur l’humanité même ; elle implique cette idée que l’humanité moderne est la dernière humanité, que l’on n’a jamais rien fait de mieux, dans le genre, que l’on ne fera jamais rien de mieux, qu’il est inutile d’insister, que le monde moderne est le dernier des mondes, que l’homme et que la nature a dit son dernier mot.

Incroyable naïveté savante, orgueil enfantin des doctes et des avertis ; l’humanité a presque toujours cru qu’elle venait justement de dire son dernier mot ;