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Tout, en face du Dieu chrétien, l’historien était un homme, demeurait un homme ; en face de rien, en face de zéro Dieu, le vieil orgueil a fait son office ; l’esprit humain a perdu son assiette ; la boussole s’est affolée ; l’historien moderne est devenu un Dieu ; il s’est fait, demi-inconsciemment, demi-complaisamment, lui-même un Dieu ; je ne dis pas un dieu comme nos dieux frivoles, insensibles et sourds, impuissants, mutilés ; il s’est fait Dieu, tout simplement, Dieu éternel, Dieu absolu, Dieu tout puissant, tout juste et omniscient.

Cette affirmation que je fais emplira de stupeur, sincère, un assez grand nombre de braves gens qui modestement, du matin au soir, jouent avec l’absolu, et qui ne s’en doutent jamais ; comment, diront-ils en toute sincérité, comment peut-on nous supposer de telles intentions ; nous sommes des petits professeurs ; nous sommes de modestes et d’honnêtes universitaires ; nous n’occupons aucune situation dans l’État ; nous sommes assez maltraités par nos supérieurs ; nous n’avons aucun pouvoir dans l’État ; nous ne déterminons aucuns événements ; nous sommes les plus mal rétribués des fonctionnaires ; nul ne nous entend ; nous poursuivons modestement notre enquête sur les hommes et sur les événements passés ; par situation, par métier, par méthode, nous n’avons ni vanité ni orgueil, ni présomption, ni cupidité de la domination ; l’invention des méthodes historiques modernes a été proprement l’introduction de la modestie dans le domaine historique.

C’est exactement là que réside la grande erreur moderne.

Les prêtres aussi étaient de petits abbés et de petits