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sèment les fictions, y compris et surtout les fictions de M. Clemenceau. Ou plutôt son tempérament même est un exemple persistant d’un ancien tempérament ; indivisément il représente le tempérament des anciens républicains parce qu’ils avaient en eux ce tempérament ; et qu’en lui-même il en a gardé un. Ce sont de telles sorties qui lui maintiennent l’amitié constante, obstinée, fidèle, de ses vieux amis et admirateurs ; car à son âge, ayant tant vécu, ayant subi tant de vicissitudes politiques, il a conservé ce que Jaurès n’a déjà plus, des amitiés et des admirations ; amitiés, admirations personnelles, d’hommes qu’il connaît, qui ne l’ont point quitté, qui le fréquentent ; amitiés, admirations, sans doute plus précieuses, d’hommes qu’il n’aura jamais connus, d’hommes ignorés, qui l’aiment et l’admirent silencieusement ; nul homme, aujourd’hui, n’a, encore, autant d’amis inconnus parmi les petites gens honnêtes et avisées ; il suscite même aujourd’hui des amitiés et des admirations, dès le premier abord, dès le premier choc, parmi de tout jeunes gens, socialistes, qui préfèrent son radicalisme natif et verjuteux aux vanités oratoires d’un socialisme scolaire ; ils savent tout ce qui lui manque ; mais ils aiment sa verve primesautière ; ils ont d’autres théories, d’autres principes d’action ; mais ils aiment ces coups de boutoir, ces raides agressions, ces saillies imprévues, ces plaisanteries à la Voltaire, à la Diderot ; car il n’est pas seulement un exemple d’une génération précédente, il remonte fort loin dans la tradition de l’esprit français ; il est clair, ouvert ; il n’est un philosophe qu’au sens du dix-huitième siècle ; mais en ce sens il est exactement ce qu’on nommait alors un philosophe ; averti du travail