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un certain détail son évolution, ce fut pour beaucoup de raisons sans doute, mais ce fut en particulier parce que l’histoire de cette évolution nous renseigne admirablement sur la marche de la maladie.

Clemenceau fait un exemple plus merveilleux encore ; ce n’est point par longues et lentes invasions, ce n’est point par vagues longues, ce n’est point par ondes que la politique parlementaire l’envahit et le pénètre ; il est beaucoup trop fort pour cela ; il se connaît trop bien lui-même ; et il connaît trop bien les environs ; la politique parlementaire fait le pain quotidien de son existence ; il connaît parfaitement la politique parlementaire et les moyens de cette politique ; il fut député, longtemps ; il est sénateur ; et sa situation politique a presque toujours dépassé le grade politique où il était parvenu ; son action politique a presque toujours dépassé de beaucoup sa situation officielle ; aussi connaît-il parfaitement la politique et n’est-il presque jamais, comme Jaurès, ému des grandeurs qu’elle paraît conférer ; son caractère aussi le garde contre les auto-montages de coups, contre les envahissements de la fatuité ; la politique fait la trame ordinaire de sa vie, de ses articles et de ses discours ; et puis brusquement, comme un homme averti, comme un homme spontané, en impulsif qu’il est, ayant des amitiés et des inimitiés, solides, que ses ennemis nomment des rancunes, il fait des sorties ; qui, entendues en leur sens plein, chambarderaient toute sa politique même ; cela lui vient justement de ce qu’il représente un peu parmi nous, dans leur esprit et dans leur geste, ces vieux républicains dont je parlais ; cela lui vient surtout, et ensemble, de son tempérament même, qui, intraitable, subit malai-