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rien, qui n’avait rien, ni grande philosophie, ni grande pensée, ni grand contenu, ni grand sens ; et toutes ces pauvretés ensemble ont animé un grand personnel, ont fait, ont constitué une existence, ont obtenu un déroulement dans l’histoire, un événement ; il n’y avait rien ; et il y a eu, il s’est passé quelque chose, il a existé quelque chose ; aujourd’hui un mouvement capital, plein de philosophie, plein de pensée, plein de sens, plein de contenu, n’obtient rien, ni personnel, ni dévouement ; ni travail ; il y avait beaucoup ; et il n’y a plus rien ; nulle réalisation ; nulle existence ; tel est un effet de la déperdition politique parlementaire ; peu avait donné beaucoup ; beaucoup ne donne rien ; tel est aussi l’effet d’abattement de la désillusion produite sur une génération, au commencement de sa vie morale et sociale, par le manquement de la génération précédente.

Ainsi est la réalité ; Hugo était un bourgeois ; et même il n’était pas un des meilleurs parmi les bourgeois ; il n’en a pas moins obtenu un peuple de lecteurs ouvriers, qui lisaient pieusement, constamment, patiemment, avec enthousiasme ; et joyeusement ; car ces hommes étaient joyeux ; bons et gais ; ils chantaient ; on ne chante plus comme ils chantaient ; ils allaient, ils chantaient, l’âme sans épouvante ; ils avaient des souliers autant qu’aujourd’hui nous en pouvons avoir ; ils chantaient des chansons qui n’étaient nullement des pornographies et qui n’étaient pas non plus l’inévitable Internationale ; ils chantaient la Marseillaise ; et toute la disparité de fortune obtenue par les deux mouvements se ramasse en la disparité de fortune obtenue par les deux hymnes ; ce mouvement, où il n’y avait presque rien, s’est manifesté par un grand événement,