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lité bourgeoise. Or Séguin est un bourgeois, Mathieu est un bourgeois. Justement parce que Séguin a des besoins d’argent croissants, il doit faire chanter Mathieu. La théorie des mitoyennetés, des contiguïtés et des enclaves est l’a, b, c du propriétaire terrien. Séguin est un chasseur, un propriétaire terrien, et il n’est pas une bête. Pourquoi n’exerce-t-il pas l’inévitable chantage, le chantage qu’exerce, en un sens, le vieux meunier Lepailleur ?

Cette inconséquence économique et psychologique tient sans doute pour une part à la conception même que l’auteur a de la psychologie. Zola excelle à nous décrire et à nous conter le malheur et le mal. Il excelle presque autant à nous décrire et à nous conter le bonheur et le bien. Mais presque partout dans son œuvre le bien et le mal, tous les genres du mal et tous les genres du bien sont juxtaposés. Or ce qu’il y a de redoutable dans la réalité de la vie, ce n’est pas la constante juxtaposition du bien et du mal : c’est leur interpénétration, c’est leur mutuelle incorporation, leur nourriture mutuelle, et, parfois, leur étrange, leur mystérieuse parenté. La psychologie de Zola est évidemment contemporaine des théories qui voulaient expliquer toute l’âme et tout l’esprit par l’association des idées. Elle ignore les théories récentes, ou plutôt les constatations récentes, qui ont laissé voir combien ces anciennes hypothèses étaient grossières encore[1]. C’est pour cela que les volitions sont souvent si grossières dans les œuvres de Zola. Elles ne sont pas vraiment des

  1. Henri Bergson. — Essai sur les données immédiates de la conscience. — Matière et mémoire.