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sa rudesse d’homme sanguin contre des hommes qui ne sont pas des Froment.

Que l’on y fasse attention : dans cette aventure de la ferme et du moulin, c’est la guerre qui est naturelle, et c’est la réconciliation qui est artificielle. De la possession, de la propriété individuelle des moyens de production, ce qui sort naturellement, c’est la guerre des possesseurs, des propriétaires. Ceux-ci peuvent se réconcilier dans un commun amour filial. Cette communauté des sentiments ne suffit pas. Elle n’est harmonieuse et durable que si elle se fonde sur la communauté des biens. Ces Froment vivent en bourgeois. Denis, succédant à l’usine à son frère Blaise assassiné, veut cependant que l’on prélève « sur les bénéfices une pension pour Charlotte, la veuve. »[1] Et l’auteur estime que c’est par une honnêteté délicate. Parmi les « cent cinquante-huit enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, sans compter quelques petits derniers-nés, ceux de la quatrième génération »[2] qui figurent uniformément au grand banquet des noces de diamant, il doit y avoir, si le livre est conforme aux réalités de la vie, sous l’apparente uniformité de la fête en commun, des riches et des pauvres. Et même avant, si l’avant-dernier des fils, Nicolas, quitte le Chantebled de la métropole et va fonder un Chantebled colonial, soudanais, ce n’est pas, remarquons-le bien, qu’il manque de place pour travailler, car la ferme est grande, l’usine est grande, la maison d’Ambroise est grande : c’est qu’il manque de place pour fonder, pour commander, pour être à son

  1. Fécondité, page 593.
  2. Fécondité, page 721.