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Zola n’a pas voulu, pour ainsi dire, que ce crédit fût demandé. Il n’a pas voulu que les fils de Mathieu dussent rien à la société. Mathieu ne demande rien à personne. Mathieu ne prend rien à personne. Mathieu fait pousser les moissons les plus luxuriantes dans les territoires de chasse abandonnés jusqu’à lui. « On n’avait qu’à faire comme lui, à créer les subsistances nécessaires, chaque fois qu’on mettait un enfant au monde ; et il aurait montré Chantebled, son œuvre, le blé poussant sous le soleil, à mesure que poussaient les hommes. Certes, on n’accuserait pas ses enfants d’être venus manger la part des autres, puisque chacun d’eux était né avec son pain. »[1] Nicolas, fils de Mathieu, fait pousser des moissons plus débordantes encore, non plus seulement dans les pays incultes, mais dans des pays incivilisés, aux plaines infinies du Soudan. Mathieu continue à vivre en paysan. Nicolas court avec une audace folle et froide les risques lointains de coloniser. Cela masque l’usurpation ; cela ne fait que la masquer. Marianne enfante une race de bourgeois.

Aussi longtemps que Mathieu fait sa terre et sa ferme avec ses bras, le roman peut sembler invraisemblable, il énonce un travail légitime, une production légitime, une vie légitime. Aussitôt que Mathieu réalise des bénéfices sur le travail de ses serviteurs et de ses servantes, — et cela ne manque pas d’arriver, bien que le roman soit à peu près muet là-dessus, puisque Mathieu achète une immense étendue de terres et fournit de l’argent pour acheter l’usine, — aussitôt que Mathieu devient un patron, tout ce travail devient illégitime, toute cette

  1. Fécondité, pages 613 et 614.