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berquinade, une invention de romancier timide, à côté de la superbe et farouche réalité. »[1]

Je ne veux retenir ici de cette Lettre que sa belle ordonnance classique et sa belle écriture. Zola, dès le commencement de l’Affaire, avait pris parti. Mais ses articles du Figaro, ses lettres surtout, sa Lettre à la Jeunesse et sa Lettre à la France comportaient de telles ponctuations et de telles métaphores que l’on pouvait se demander si la pensée en était toujours parfaitement ferme. Ces hésitations de la phrase et du langage figuré n’étaient que les premiers balbutiements non apprêtés d’une indignation qui éclate. Mais en face du crime évident et continué l’indignation se raffermit singulièrement. Le début de la Lettre au Président de la République est encore un peu gêné. La conclusion est sans aucun doute un des plus beaux monuments littéraires que nous ayons, et je me permets d’y insister.

Je ne connais rien, même dans les Châtiments, qui soit aussi beau que cette architecture d’accusations, que ces J’accuse alignés comme des strophes. C’était de la belle prophétie, puisque la prophétie humaine ne consiste pas à imaginer un futur, mais à se représenter le futur comme s’il était déjà le présent. C’était d’une belle ordonnance classique, d’un beau rythme classique, et l’auteur fut encore plus fidèle à ce rythme en écrivant, quelques jours après, sa Lettre à Monsieur le Ministre de la Guerre.

Cette ordonnance classique ne consiste pas, comme Hugo se l’est sans doute imaginé, à introduire dans le

  1. Justice, dans l’Aurore du lundi 5 juin 1899.