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rité gouvernementale, un morceau d’État. On en veut faire un de plus qui pèsera sur nous. Il procédera du préfet par le sous-préfet. Il sera un fragment du gouvernement d’État. Il demandait son pain et sa liberté, ce que nous avons nommé sa liberté économique. Par le sophisme d’action le plus répandu qui soit en France on lui répond en lui proposant de l’autorité, en lui imposant d’exercer une autorité. Notons provisoirement ce paralogisme d’action, ce parapragmatisme devenu capital en France. Il demandait la liberté, où il avait droit ; on la lui refuse ; mais, en échange de ce qu’on la lui refuse, on le convie à exercer pour sa part de l’autorité, à refuser pour sa part de la liberté, à être un agent du refus universel, à empiéter pour sa part sur les libertés communes, sur les libertés des simples citoyens ; au besoin on l’y contraint ; c’est-à-dire que l’on ajoute à son ancienne servitude cette servitude nouvelle, cet accroissement d’exercer une autorité de commandement. Il semble que par un troc politique la liberté qu’il ôte aux simples citoyens compense la liberté qu’on ne lui a pas rendue ; je ne parle que des libertés légitimes. C’est par un effet de ce raisonnement que les peuples asservis se vengent en aidant l’envahisseur à soumettre un tiers voisin, que l’on subordonne spécialement à ces courtiers de servitude.

Ce troc immoral est des plus fréquents dans la société contemporaine ; les effets de ce troc se multiplient ; c’est par l’universalisation de ce jeu que la société moderne se constitue de plus en plus comme une immense, comme une totale mutualité de servitude : chacun vend sa part de juste liberté pour une