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de bons souvenirs, je lus la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies. J’admirai comme on le doit cette passion religieuse et, pour dire le mot, cette foi passionnément géométrique, géométriquement passionnée, si absolument exacte, si absolument propre, si absolument ponctuelle, si parfaite, si infiniment finie, si bien faite, si bien close et régulièrement douloureuse et consolée, enfin si utilement fidèle et si pratiquement confiante, si étrangère à nous.

— Moins étrangère que vous ne le croyez. Mais dites-moi sincèrement pourquoi vous avez lu cette prière au commencement de votre maladie.

— Devenu avare après plusieurs déceptions financières, j’étais heureux d’utiliser le temps de ma maladie à lire un bon texte. J’étais heureux de lire du Pascal, parce que j’ai gardé pour ce chrétien une admiration singulière inquiète. J’étais heureux de lire une prière que mon ami venait d’admirer. Enfin l’appropriation de cette prière à mon nouvel état me plaisait.

— N’y avait-il pas un peu d’amusement dans votre cas ?

— Malade pour la première fois depuis un très long temps, je m’amusais un peu et puérilement de ma situation nouvelle. Ainsi les mauvais révolutionnaires s’amusent de la nouveauté quand les premières agitations des crises troublent la tranquillité provisoirement habitable du présent. Je jouai un peu au malade. Mais cet amusement ne dura pas. Mon corps monta rapidement jusqu’à la température de quarante centigrades. Le reste à l’avenant. Je n’en voulus rien dire. Mais j’eus peur. Et pendant trois quarts de journée, moitié par association, moitié par appropriation d’idées, je consi-