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ŒUVRES DE PROSE

poches le numéro du Mouvement où est l’article de Deshairs.

Il est bien peu de citoyens qui n’aient alors donné un souvenir, une rapide pensée à Déroulède, qui était venu chercher deux régiments si loin de l’Élysée et si près de la soupe du soir.

Vite on se ressaisit pour passer devant la tribune officielle, à gauche. On avait, au long du cortège, crié quelque peu : Vive Loubet. On s’entraine, on s’aveugle, on s’enroue sur le au bagne Mercier, les chapeaux en l’air, les mains hautes, les cannes hautes. On marche porté, sans regarder sa route. On tourne autour du bassin. On est enlevé. On arrive. On cherche Loubet, pour qui on criait tant. Il n’est pas là. Vraiment, à la réflexion, il eût été fou qu’il restât là pour tout ce que nous avions à lui dire. De la tribune on répond à nos Vive la Sociale ! Beaucoup d’écharpes aux gens de la tribune. Ces citoyens n’en sont pas moins ardents. Un dernier regard au peuple innombrable qui suit et qui tourne autour de ce bassin. C’est fini. Au coin quelqu’un me dit : « Ça a été violent ici au commencement, la police a enlevé un drapeau noir. » Cet incident passe inaperçu dans le perpétuel mouvement du peuple.

Je n’oublierai jamais ce qui fut le plus beau de la journée : la descente du faubourg Antoine. Le soir descendait, la nuit tombait. Tout ignorants que nous soyons de l’histoire des révolutions passées, qui sont le commencement de la prochaine Révolution sociale, nous connaissons tous la gloire de la légende et d’histoire du vieux faubourg. Nous marchions sur les pavés dans cette gloire. Avec une sage lenteur les porteurs de la Petite République marchaient en avant de ce nouveau

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