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inconséquence ! ou plutôt heureuse et profonde conséquence ! — Combien de bourgeois défilèrent parmi les francs-maçons et dans la Ligue des Droits de l’Homme !

Je soupçonne tous les gens des fenêtres de n’avoir entendu de tout cela que le brouhaha immense de la rue qui se mouvait. Les camarades traitaient le bizarre compagnon, le compagnon de la Renaissance italienne, avec beaucoup de bonne humeur, comme un enfant terrible, capricieux, négligeable. Mais le grand succès fut pour le bon loustic, le loustic inévitable, plus ancien que la caserne et plus durable qu’elle. Au moment où la station devenait une véritable pause, quand on commençait à s’impatienter un tout petit peu, le bon loustic se mit à chanter, au lieu de : Ah ! Déroulède à Charenton, ton, taine, sur le même air, ces paroles ingénues : Allons vite à la place de la Nation, ton, taine. Ayant dix syllabes à caser au lieu de huit, il courait pour se rattraper. Cela réussit beaucoup.

Alerte. Sursaut. Scandale. Un cri court au long de la colonne : À bas la patrie ! Grand émoi, car un tel cri n’est poussé que par un agent provocateur ou par des internationalistes excessivement prononcés. Soudain on comprend. Et on rit. Des camelots harcelaient les manifestants et la foule en criant : La Patrée. Les manifestants avaient répondu en criant : À bas la Patrie, et non pas à bas la patrie. Pour dissiper le malentendu, on commença : Conspuez Millevoye, mais sans insister, disant : Il n’en vaut pas la peine, ou : Il est trop long.

À mesure que l’on approchait de cette place, le service d’ordre, insignifiant d’abord, devenait notoire. Il avait été convenu qu’il n’y aurait pas de police. De fait la baie, très clairsemée, un simple jalonnement au milieu