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ce temps-là le peuple ne savait pas encore. Les églantines rouges ne fleurissaient pas alors les boutonnières des vestes, des pardessus et des capuchons, mais à une marque discrète chacun reconnaissait mystérieusement les siens.

L’image de ce jour devenu si lointain par le nombre et l’importance des événements intercalaires, de ce jour déjà devenu comme étranger parce que la situation s’est retournée dans l’intervalle, eut tout le loisir de fréquenter notre mémoire, car le cortège ne partit nullement à midi. Évidemment le service d’État-Major était assez mal organisé. On devisait donc entre amis et camarades. On allait admirer dans la vitrine du journal un bel étendard, un drapeau rouge, mais avec la hampe au milieu, et ces mots brodés en trois lignes transverses : La — Petite République — socialiste, et les deux cartouches bleus aux inscriptions dorées : Ni Dieu ni Maître ; Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. L’attente se prolongeait. On remarqua que le mot pays sur le deuxième cartouche était mis en surcharge. On achetait des églantines rouges au bureau du journal, au magasin plutôt. Ces églantines ont été perfectionnées depuis Longchamp. Alors on les donnait, à présent on les vend : un sou l’exemplaire, trois francs le cent, ving-sept francs le mille ; à présent on la nomme églantine rouge double. Elle est plus grande, plus grosse ; elle a en effet deux rangées de pétales, une à l’extérieur, plus grande et large, une à l’intérieur, plus petite. Naguère les pétales simples étaient fixés sous une petite boule jaune, parfois surmontée de deux ou trois petits fils jaunes, qui figurait, grossièrement et naïvement, les étamines et le pistil. Aujourd’hui la boule centrale