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ŒUVRES DE PROSE

reste. Mais j’ai la cruauté d’abandonner quelquefois le terrain de la lutte de classe. Il me semble que ces enfants seront un jour des hommes et des citoyens. Je tâche de faire tout ce que je peux pour qu’ils soient plus tard des hommes humains et de bons citoyens. Outre le respect que l’on se doit et que l’on doit à son métier, je ne suis pas immoral. Même j’espère que quelques-uns de ces enfants pourront devenir des camarades. N’avons-nous pas été nous-mêmes au Lycée ? N’avons-nous pas trouvé dans l’enseignement que nous avons reçu au Lycée au moins quelques raisons profondes pour lesquelles nous sommes devenus socialistes ? Oh ! je ne dis pas que nos maîtres et professeurs l’aient fait exprès. Ils n’étaient pas socialistes, en ce temps-là. Mais c’étaient de braves gens et des hommes honnêtes, ils disaient la vérité qu’ils pouvaient. Sans le savoir ces hommes de métier ont beaucoup fait pour nous introduire au socialisme. Et combien ne connaissons-nous pas, n’avons-nous pas connu de bons socialistes élevés au Lycée ou dans les écoles, fils de père et mère bourgeois. Quand un fils de bourgeois devient socialiste, avec ou sans les siens, ou malgré les siens, je dis et je crois que c’est un morceau de la Révolution sociale qui se fait, sans qu’intervienne la dictature impersonnelle du prolétariat. C’est nous qui sommes les révolutionnaires. — Pour toutes ces raisons, je me réserve assez peu de loisirs. Et sur ces loisirs j’emploie un certain temps à préparer et à faire des conférences publiques dans les écoles primaires. Je parlerai ce soir sur le prince de Bismarck. Je me suis servi du livre de Charles Andler pour préparer ma conférence. Aux enfants de l’école, aux adultes anciens élèves, aux parents, je conterai

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