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fois, ce qu’il allait dire. Au lieu que Zévaès, il sait tout ça par cœur, lui. On ne peut pas lui en remontrer.

— De quoi qu’on parlait, quand il y avait réunion ?

— Mon petit cousin parlait de quelque chose. Alors ce n’était pas intéressant. Les grands orateurs parlent de tout. Zévaès vous dépeint toute la révolution sociale en quarante minutes. Après ça il faut encore vingt-trois minutes pour démontrer la république sociale. Parce que la révolution sociale, c’est quand on fait la république sociale, et la république sociale, c’est quand on a fait la révolution sociale. Je sais tout ça comme un Parisien. Je l’ai entendu dire assez souvent, dans les réunions. Je ferais un orateur comme tout le monde. Seulement je ne sais pas parler. Et puis ce n’est pas mon métier. De mon métier je suis ouvrier fumiste. Mon petit cousin, aussi, ne parlait pas assez longtemps. Il était tout de suite au bout de son rouleau. Il ne savait pas développer. Il parlait trop court. Trop sec. Pas assez de grands mots. Il nous faut des grands mots, n’est-ce pas ? Ça excite. Quand il avait fini, il ne disait plus rien. Quand il ne savait pas, il disait : Je ne sais pas. Ça faisait mauvais effet. Le grand orateur sait toujours tout. Le véritable orateur ne doit jamais avouer qu’il ne sait pas. Tenez, encore un détail qui me revient : mon petit cousin voulait nous faire causer, causer avec nous. Il nous demandait ce que nous savions, ce que nous pensions. Ça nous faisait réfléchir. C’était fatigant. Il voulait nous faire étudier, quoi. Le véritable orateur doit toujours parler lui-même. Et puis quand on demande à son voisin, on a l’air de ne pas savoir soi-même. Le véritable instituteur ne fait jamais parler son élève. Et puis je n’en finirais pas. Mon petit cousin n’aimait pas