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mon copain : Dis donc, citoyen, tu viens en boire une à la santé de la Sociale ? — Mais oui, qu’il me répond, citoyen. Faut jamais refuser.

— Il y a tant de capitalistes, répondit Pierre Baudouin, tant de rentiers, millionnaires et gros bourgeois qui se font appeler citoyens, à présent, que j’ai recommencé à nommer tout le monde monsieur, et messieurs quand il y en a plusieurs. Ainsi je ne fais pas de jaloux. Vous avez tort de divulguer le beau nom de citoyen. Vous avez tort de fumer des cigarettes. Vous avez tort de vous alcooliser.

— J’ai tort ? dit mon cousin, comme si le mot l’étranglait.

— Vous avez tort : si tous les républicains qui s’intitulent socialistes ou seulement bons républicains avaient envoyé à nos amis de Calais l’équivalent de ce qu’ils ont bu et fumé dans le même temps, nos amis les tullistes auraient tenu des années entières. Au lieu que nous les avons lamentablement laissés crever de faim, de misère et de froid. Nous sommes des lâches.

— J’ai tort, dit mon cousin, comme un qui s’essaye à prononcer un mot inconnu.

— Vous avez tort. Si tous ceux qui s’intitulent socialistes renonçaient au mauvais boire, la véritable révolution sociale serait avancée de plus de soixante et onze ans. Nous sommes des lâches.

— J’ai tort, j’ai tort, mais savez-vous, monsieur, que vous êtes un homme singulier. Vous êtes nouveau, vous. Vous êtes un homme qui a de l’audace. Vous m’enseignez des mots nouveaux. Un mot nouveau. Vous prétendez que j’ai tort. Savez-vous que vous êtes le premier qui ait osé me dire que j’ai tort. Quand je vais