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sens-là il n’y ait parmi nous aucune autorité individuelle, et encore moins une autorité collective. Nous demandons que le peuple accorde une large audience à tous ceux qui lui veulent parler. Mais quand il a entendu l’orateur ou l’auteur, nous demandons que le peuple, s’il y a lieu, prononce lui-même selon la raison, sans aucune interférence de fidélité religieuse. Nous sommes de ces singuliers libéraux ou libertaires qui n’admettons aucune autorité. Nous sommes de ces singuliers révolutionnaires qui n’admettons pas l’autorité de la tradition. Nous sommes de ces singuliers libre-penseurs qui n’acceptons aucune Église. Au sens profond des mots, nous n’autorisons aucune congrégation. Que le peuple écoute volontiers tel ou tel en mémoire des auditions précédentes, si elles étaient bonnes, soit. Mais dresser le peuple ou le public à ce qu’un jour lisant un article ou entendant un discours le simple citoyen pense en lui-même : Ce raisonnement me paraît faux, mais j’admets qu’il est juste, puisqu’il est de monsieur un tel ; — ou bien : Ce sentiment me paraît mauvais, mais il faut bien qu’il soit noble, puisqu’il est d’un tel, noble citoyen : que le peuple suive ainsi à la piste, nous ne le voulons pas, Jaurès ne le veut pas, s’il a de faux amis qui le veulent. Nous ne voulons pas qu’entre le texte et l’homme qui lit on glisse l’épaisseur d’une autorité, quand le texte serait de mon meilleur ami.

— Surtout, rectifia Pierre Deloire, si le texte était de mon meilleur ami.

— C’est ce que je voulais dire.

— Il faut dire ce que l’on veut dire.

— Nous demandons instamment que ceux qui aiment l’autorité se reclassent parmi les bourgeois, que ceux