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institués, que j’avais élus d’acclamation, car enfin j’étais présent à cette admirable assemblée générale où vingt et quelques sociétaires avaient élu d’enthousiasme cinq sociétaires pour qu’ils devinssent les administrateurs de la commune Société. Mais le seul fait que ces hommes exerçaient une autorité, une autorité anonyme, le cinquième de l’autorité totale dans un monde clos, le seul fait qu’ils étaient un conseil, un comité, qu’ils délibéraient et votaient, qu’ils siégeaient, les avait faits méconnaissables.

L’exécution fut rapide. Ils démentaient leur langage de la veille et leur pensée intime, ils démentaient toute leur action précédente, ils démentaient leur vie. Je devins bête instantanément et me défendis mal. On me demanda ce qu’il y aurait là-dedans, ce que je mettrais dans le premier numéro. Je bafouillai. Vous savez, mes amis, comme il est pénible et gauche d’expliquer d’avance, d’échafauder pour un juge violent et railleur la carcasse des formes prochaines. Léon Blum, très courtoisement, me dit : Péguy, je ne veux pas traiter avec vous la question au fond. Ce que vous préparez me semble inopportun. Vous venez ou trop tard ou trop tôt. — C’était une opinion respectable, fondée ou non, qui demandait une amicale discussion. Simiand intervint, et confondant ses fonctions d’administrateur de la Société Nouvelle avec sa situation de critique sociologique il me dit : Je vois ce que c’est : tu veux faire une revue pour les imbéciles. — Dite avec ce sourire mince froid qui rend son auteur si redoutable aux imbéciles que nous sommes, cette indication me coupa le souffle. Je me suis dit depuis, pour me consoler, que sans doute il nommait imbéciles tous les citoyens qui n’ont pas fait