Page:Peguy oeuvres completes 01.djvu/304

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Cette lettre, dit Pierre Deloire, me paraît d’un ami véritable.

— Est-ce tout ? demanda Baudouin.

— C’est tout. J’ai un désabonnement sans explication. J’en attends plusieurs, mais de gens que je ne connais pas.

— Eh bien je vous donne à présent ma parole que les cuistres qui liront ce que je veux dire aujourd’hui ne vous écriront pas que nous sommes un dilettante.

Je m’aperçus qu’une lente et profonde colère lui était montée. Mais Pierre Deloire intervint froidement :

— Les dix francs, me dit-il, que je te donne chaque mois ne sont pas levés sur mon superflu, mais prélevés sur mon nécessaire. Tu es comptable envers moi. Je suis inversement responsable de toi. Je te requiers formellement de nous faire entièrement et sur pièces la narration des relations que tu as eues, comme gérant des cahiers, avec la Société Nouvelle de librairie et d’édition. Commençons par les faits.

— Commencez par les faits, dit Pierre Baudouin. Vous ne m’empêcherez pas de dire aujourd’hui ce que je veux dire aujourd’hui.

— Quand en décembre 1899 je sortis écœuré du congrès de Paris, du premier congrès national, écœuré du mensonge et de l’injustice nouvelle qui s’imposeraient au nom d’un parti nouveau, la résolution me vint, en un coup de révolte spontané, de publier ce que mes amis sentaient, disaient, pensaient, voulaient, croyaient, savaient. C’était une résolution singulièrement audacieuse, puisque toute la puissance de la vieille et de la nouvelle autorité allait me retomber sur