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ginations, et au premier mai suivant, au lieu de fonder ces cahiers, je fondai une librairie. Je mis tous mes soins à publier la copie de mes camarades, n’imaginant pas que je devinsse un fournisseur de copie. Mon ami Georges Bellais voulut bien me prêter son nom, car j’étais encore boursier d’études en Sorbonne, et j’aimais l’anonymat. On sait que cette librairie ne prospéra pas beaucoup. Je ferais plaisir à beaucoup de personnes si j’attribuais à ma témérité ou à ma stupidité, à mon incurie, à mon ineptie un insuccès aussi notoire. Mais je distingue des causes. La principale est encore l’affaire Dreyfus.

Elle passionnait le monde quand la librairie put commencer à fonctionner, à travailler. Elle fit au commerce un tort considérable, au commerce parisien. En particulier elle nuisit au commerce des livres, parce que les gens gardaient tout leur temps et toute leur finance pour lire les journaux multipliés. Singulièrement elle nuisit à la librairie Bellais qui s’affichait dreyfusiste, qui fut rapidement notée, devant qui les antisémites manifestèrent, où les dreyfusistes fomentaient leurs manifestations. Le temps et la force employée à manifester pour Dreyfus était dérobée au travail de la librairie. La fatigue entassée dans l’action dreyfusiste retombait sur la librairie. La seule édition dreyfusiste que fit la maison nous fut onéreuse. Ainsi une affaire qui sans doute enrichit de finance ou de clientèle ou d’autorité les journaux et la librairie Stock appauvrit la librairie Bellais.

Je distingue des causes. Les secondaires sont nombreuses. Le gérant ne géra pas avec la tension qu’il fallait. Il est probable que si mon ami André Bourgeois avait alors été disponible, et s’il avait fait pour la librairie un travail équivalent à celui qu’il vient de faire pour les cahiers, l’événement aurait tourné vers un succès heureux. — Toutes les éditions que fit la maison furent onéreuses, ou bien parce que le livre se vendait peu, ou bien parce que