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des deux dernières années, pendant cette certaine affaire dont Baudouin m’a cependant livré le nom —

— N’est-ce pas de l’affaire Dreyfus qu’il t’a voulu parler ?

— Je crois me rappeler que tel fut bien le nom qui frappa mon tympan.

— À Bayonne il y a quelques personnes encore, plusieurs historiens, qui n’ont pas oublié ce nom.

— Pendant l’affaire Dreyfus donc, si tel est bien le nom que nous devons lui donner, il advint cette histoire incroyable : que plusieurs de ceux qui avaient accepté les exemplaires les plus amicalement et sincèrement signés s’imaginèrent que l’auteur, leur ami, était affilié à un mystérieux syndicat formé à seule fin de livrer aux bourgeois étrangers, en particulier aux Anglais, la France entière, de Calais à Perpignan, de Brest à Nice, de Domremy à Orléans, passant par Jargeau, Reims et Rouen, sans compter les colonies. Ceux qui voulaient pourtant lui garder leur estime ancienne imaginèrent que, sans être affilié, il contribuait sottement ou naïvement à faire les affaires de ce syndicat. Il saisit rapidement cette occasion qu’il avait de faire quelque démarche ridicule. Un jour que la menace d’un coup de force définitif était plus imminente, il écrivit à un de ses anciens amis que ces soupçons lui devenaient insupportables, et que l’ami eût à y renoncer, ou à lui renvoyer la Jeanne d’Arc. L’ami lui renvoya la Jeanne d’Arc. Pierre Baudouin était à peine remis de cet émoi que déjà l’affaire dont le nom m’échappe était oubliée. Alors il advint à ce malheureux une histoire encore plus incroyable : parmi les destinataires qui étaient censés affiliés au même syndicat de livraison que lui, une