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— Il demeure toujours à la campagne ?

— Oui, en Seine-et-Oise, à une heure de Paris-Luxembourg. Je suis allé le voir, sachant que le docteur n’aurait pas le temps de revenir me voir de sitôt.

— Le docteur n’est pas revenu ?

— Non, il m’a fait dire que les commissions qu’il avait à faire à Paris étaient beaucoup plus longues et plus difficiles et plus ingrates qu’on ne pouvait raisonnablement le penser. Il ne pouvait donc venir chez moi et il était inutile que j’allasse le demander chez lui. Je suis allé voir Pierre Baudouin dans la maison de campagne où il demeure. C’était à l’aube du printemps. Les arbres en fleurs avaient des teintes et des lueurs, des nuances claires et neuves et blanches de bonheur insolent semblables aux nuances que les Japonais ont fidèlement vues et qu’ils ont représentées. Les branches des arbres des bois transparaissaient merveilleusement au travers des bourgeons et des feuilles ou des fleurs moins épaisses comme la charpente osseuse d’un vertébré transparaît dans les images radiographées de son corps. Notre ami Pierre Baudouin, qui est un classique, et même, en un sens, un conservateur, me dit qu’il redoutait l’incertitude anxieuse de cette jeunesse et la transparence mystérieuse des arbres. Il attendait impatiemment l’heure prochaine où les arbres auront leur beauté pleine, où le feuillage épais cachera normalement, naturellement, décemment, convenablement, modestement la charpente intérieure. Il admet qu’en hiver les arbres à feuilles caduques soient des squelettes, parce que l’hiver est la saison de la mort. Mais il demande qu’aussitôt que la saison de vie a rayonné du soleil et rejailli de la terre nourrice, les arbres se vêtent rapide-