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voyait clair, malgré les assurances des médecins, dans la marche et dans l’aggravation de son extraordinaire maladie.

— Quels étranges médecins que ces médecins de Pascal. Quelle quiétude ! et quelle méconnaissance. Mais nous aurions tort de nous imaginer que nous aurions tout dit quand nous aurions dit qu’ils sont aussi les médecins de Molière. Non avertis, des médecins modernes ou contemporains ne s’y seraient pas moins trompés. Ils attendaient en Pascal des maladies communes, ordinaires. Je ne sais pas s’il travaillait de ces maladies ; mais il me semble qu’il travaillait surtout du mal de penser et de croire ; il avait commencé par le mal de penser ; il continuait par le mal de penser aggravé du mal de croire : ce sont là des maux redoutables, sinon inexpiables, et que les bons médecins n’avaient pas en considération. Nous qui avons les Pensées, nous avons par là même sur la vie et sur la mort de Blaise Pascal, sur la souffrance et le délabrement de son corps, des renseignements que ses médecins n’avaient pas ; nous avons des lueurs qu’ils n’avaient pas ; nous avons des intelligences nouvelles ; et, sans faire de métaphysique, nous savons que son corps travaillait de la souffrance de son âme. Le mal de croire est donné à tout le monde, et ma pauvre dame l’avait ainsi que l’avait eu Pascal. C’est un mal qui est devenu plus rare. Le mal de penser n’est pas encore donné à tout le monde. Il est resté un peu plus professionnel. C’est, pour dire le mot, un mal intellectuel. Je ne crois pas qu’il soit déshonorant. L’excès du travail intellectuel délabre l’âme et le corps sans déshonorer la personne ainsi que l’excès du travail manuel délabre