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rions fini par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, des bourgeois révolutionnaires de 1789, et par le pape Léon XIII, dans sa fameuse encyclique sur le sort des ouvriers. Mais vous ne voulez pas m’écouter. Serait-il vrai que vous fussiez un ignorantiste ?

— Le citoyen Lafargue n’est pas un ignorantiste. Il n’est pas un ignorant. Et dans tout ce que vous m’avez cité, docteur, il n’y a presque pas de fautes d’orthographe. Je préfère à vos citations ironiques ou sérieuses le grec modeste que vous avez spontanément, et sans doute sans le faire exprès, introduit dans le tissu de vos discours.

— Des professeurs honorables, sévères, doux et ponctuels, purement universitaires, m’enseignèrent ce grec au lycée. De la cinquième à la rhétorique, lentement et communément, devinant et balbutiant, nous avons lu les poètes hellènes, à la fois étrangers à nous et jeunement hospitaliers à nos jeunes imaginations. Les mœurs des hommes antiques, des héros, des rois, des cités et des dieux nous étaient nouvelles, car elles différaient notablement des mœurs bourgeoises florissantes alors en la bonne ville d’Orléans : les poètes antiques nous paraissaient d’autant plus beaux. Je me rappelle fort bien que l’exil antique inspirait alors aux misérables une singulière épouvante et que le retour, le nostos, était désiré comme le grand bonheur, comme une renaissance. Il me semble que les chrétiens ont hérité de ces sentiments, mais qu’ils ont divinisé l’épouvante et le désir. Quand la cité fut devenue, ainsi que vous le savez, l’universelle, l’éternelle cité de Dieu, la terre, que nous labourons, devint, comme nous l’avons