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jours convoité ; c’est diminuer le temps de la punition, avancer l’heure de la libération. C’est faire intervenir quelque misérable fantaisie humaine au cœur du décret divin. C’est empiéter sur la puissance du Créateur. C’est commettre un sacrilège et tomber en péché mortel. Si votre pauvre dame a vraiment contribué à sa propre mort, j’ai grand peur que, tout de suite après, son Dieu ne l’ait fort mal reçue.

— Vous citez du grec, docteur, non moins abondamment que le citoyen Lafargue.

— Le citoyen Lafargue est un savant homme et je ne suis pas surpris que tous les intellectuels ensemble aient conjuré de lui envier son érudition universelle, ne pouvant la lui ravir. Dans les Recherches qu’il a faites sur l’Origine de l’idée de Justice, et qu’il a bien voulu donner à insérer à la Revue socialiste, et que nous avons ainsi connues en juillet 1899, il nous a dévoilé une loyauté intellectuelle non moins impeccable que celle qui transparaît au Manifeste contemporain. Mais ce que les regards les mieux avertis ne sauraient voir au Manifeste, qu’il rédigea pour un tiers, les regards les moins intellectuels sont forcés de le constater dans les Recherches, que sans doute il rédigea pour les trois tiers. Je veux parler ici de cette incomparable érudition, de ce savoir universel. On dirait déjà une exposition, avant celle qui vient. L’auteur connaît le sauvage et le barbare ; il connaît les Peaux-Rouges d’après l’historien américain Adairs ; il connaît le Figien ; les femmes slaves de Dalmatie ; le proverbe afghan ; le Dieu sémite ; les Moabites ; les Hamonites ; l’Hébreu comme le Scandinave ; les Érinnies de la Mythologie grecque ; le chœur de la grandiose trilogie d’Es-