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examens indispensables et des concours utiles. Mais la narration n’était pas entrée dans ma mémoire profonde.

— Cela n’est pas étonnant, mon ami.

— Cela n’est pas étonnant. Les concours et les examens que nous devons subir et où nous contribuons à envenimer l’antique émulation, toutes les rivalités d’enfance, toutes les compétitions scolaires où nous nous faisons les complices de la vieille concurrence donnent malgré nous à tout le travail que nous faisons pour les préparer non seulement un caractère superficiel, mais je ne sais quoi d’hostile et d’étranger, de pernicieux, de mauvais, de malin, de malsain. Les auteurs ne sont plus les mêmes, et il y a toujours quelque hésitation quand Blaise Pascal est un auteur du programme. Cette incommunication est aussi un empêchement grave à tout enseignement, primaire, secondaire, ou supérieur. Je me rappelle fort bien que tout au long de mes études je me suis réservé la plupart de mes auteurs pour quand je pourrais les lire d’homme à homme, sincèrement. Nous venons de le faire, en première lecture, pour quelques passages d’une histoire qui est en effet une introduction naturelle aux Pensées. Pourrons-nous faire un jour les lectures suivantes, les deuxième, troisième et suivantes lectures, toujours plus approfondies. Ferons-nous jamais quelque lecture qui soit définitive.

— Je ne pense pas que jamais nos lectures soient finales. Et d’abord savons-nous ce que c’est que lire, et bien lire, et lire mal ?

— Je ne le sais ; mais je sais qu’alors je ne lisais pas bien mes auteurs, que je me les réservais, et qu’à présent, quand j’ai le temps, je les lis mieux. Mais ce n’était pas cela, docteur, qui me frappait le plus pen-