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— Ne croyez pas, citoyen, que cela favorise beaucoup ce que vous avez avancé. Je continue :

« et quand la nécessité le contraignait à faire quelque chose qui pourrait lui donner quelque satisfaction, il avait une adresse merveilleuse pour en détourner son esprit afin qu’il n’y prît point de part : par exemple, ses continuelles maladies l’obligeant de se nourrir délicatement, il avait un soin très grand de ne point goûter ce qu’il mangeait ; et nous avons pris garde que, quelque peine qu’on prît à lui chercher quelque viande — viande, c’est-à-dire sans doute nourriture — agréable, à cause des dégoûts à quoi il était sujet, jamais il n’a dit : Voilà qui est bon ; et encore lorsqu’on lui servait quelque chose de nouveau selon les saisons, si l’on lui demandait après le repas s’il l’avait trouvé bon, il disait simplement : Il fallait m’en avertir devant, car je vous avoue que je n’y ai point pris garde. Et, lorsqu’il arrivait que quelqu’un admirait la bonté de quelque viande en sa présence, il ne le pouvait souffrir : il appelait cela être sensuel, encore même que ce ne fût que des choses communes ; parce qu’il disait que c’était une marque qu’on mangeait pour contenter le goût, ce qui était toujours mal.

» Pour éviter d’y tomber, il n’a jamais voulu permettre qu’on lui fît aucune sauce ni ragoût, non pas même de l’orange et du verjus, ni rien de tout ce qui excite l’appétit, quoiqu’il aimât naturellement toutes ces choses. Et, pour se tenir dans des bornes réglées, il avait pris garde, dès le commencement de sa retraite, à ce qu’il fallait pour son estomac ; et, depuis cela, il avait réglé tout ce qu’il devait manger ; en sorte que, quelque