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radis comme je crois que je cause avec vous. Mais je n’ai connu personne au monde qui se représentât aussi présentement le bon Dieu, les anges, le diable et tout ce qui s’ensuit. Cette pauvre femme avait ainsi la consolation dont elle avait besoin. Mais je vous donnerais une impression un peu simple et vraiment fausse, docteur, si je vous laissais croire que la malheureuse croyait par égoïsme inconscient ou conscient, simple ou compliqué, particulier ou collectif. Elle croyait. Cette croyance étant donnée, elle y avait sa consolation. Elle attendait impatiemment que son Dieu lui accordât la permission de passer de ce monde militaire et misérable aux saintes douceurs du ciel, adorables idées. Je pense que beaucoup de chrétiens sont ainsi. Elle se livrait à des exercices extraordinaires qui tuaient son corps et délivraient son âme. Les bons Pères attendaient le testament. Dans la vie ordinaire et un peu facile du faubourg, cette malheureuse dame riche me paraissait surnaturelle et difficile. Tous les matins, hiver comme été, avant l’heure où les pauvres femmes allaient laver la lessive chez les patrons, pour vingt sous par jour, non nourri, autant qu’il me souvienne, la déplorable chrétienne s’en allait à la première messe, dans la neige imbalayée ou dans la fraîche tiédeur du matin païen. « Avoir des rentes comme elle et se lever si matin ! » disaient les femmes qui allaient laver la lessive, « au lieu de rester au lit : faut-il qu’elle soit innocente ! » Cette innocente eut ce qu’elle devait avoir. Son Dieu lui fit la grâce de la rappeler à lui pendant la sainte semaine. Elle n’eut pas la grippe, encore ininventée ; un jour de la semaine des Rameaux, le printemps étant froid, elle eut un courant d’air dans la petite chapelle. Quand son médecin lui