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Ce n’est pas seulement dans l’interprétation de l’univers naturel, c’est dans l’interprétation de l’univers social que le prolétariat, selon le conseil excellent d’Anatole France, doit appliquer la méthode libératrice de la science. Dans l’ordre social aussi il y a une théologie : le Capital prétend se soustraire à l’universelle loi de l’évolution et s’ériger en force éternelle, en immuable droit. Le capitalisme aussi est une superstition, car il survit, dans l’esprit routinier et asservi des hommes, aux causes économiques et historiques qui l’ont suscité et momentanément légitimé.

Dans l’ordre social aussi, les fantômes de la peur troublent le cerveau des hommes. Ce ne sont pas seulement les possédants qui s’effraient à l’idée d’un changement complet dans le système de propriété : il y a encore une part du prolétariat qui a peur de tomber dans le vide si on lui retire soudain la servitude accoutumée où s’appuie sa pensée routinière.

Voilà pourquoi la science, en déroulant sous le regard des prolétaires les vicissitudes de l’univers et le changement incessant des formes sociales, est, par sa seule vertu, libératrice et révolutionnaire. Nous n’avons même pas besoin que les maîtres qui enseignent dans les Universités populaires concluent personnellement et explicitement au socialisme. Dans l’état présent du monde, c’est la science elle-même qui conclut.

On me dit qu’il y a des socialistes qui voient encore un calcul machiavélique de la bourgeoisie et un piège pour les travailleurs dans les universités populaires, comme ils voient un piège dans la coopérative, dans le syndicat. Oh ! qu’ils ont peu de confiance en la force historique du prolétariat : à l’heure où nous sommes,