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qui ont l’air d’aller plus ou moins bien et qui sont délabrés par l’exercice du métier.

— J’y pensais, bien avant que je ne fusse tombé malade ; mais il est vrai que j’y pense à présent comme à une réalité propre.

— Pourquoi donc ce médecin ne s’est-il pas fié seulement à votre bonne mine ?

— Sans doute parce qu’il savait que nous ne devons pas nous fier aux apparences. Tel est du moins le sens d’un vieux dicton. Il savait que quelques personnes ont l’air malade et se portent bien, qu’un grand nombre de personnes ont assez bonne mine et sont délabrées.

— Nous en usons plus astucieusement pour les maladies sociales : nous nous gardons soigneusement de critiquer les apparences ; pourvu que les groupes soient nombreux et acclament des résolutions retentissantes, pourvu que les meetings soient vibrants, pourvu que les manifestations fassent pleuvoir les pommes de terre sur la voiture de Rochefort, pourvu que les congrès finissent en chantant l’Internationale, qui est une hymne admirable, pourvu que les délégués s’intitulent socialistes et le soient politiquement à peu près, pourvu que les élections marchent à peu près, pourvu que les suffrages montent, et surtout pourvu que l’on n’abandonne pas le terrain de la lutte de classes, nous nous gardons soigneusement d’examiner ce qu’il y a là-dessous, nous nous gardons soigneusement d’examiner si les âmes jouissent de la santé socialiste ou si elles travaillent du mal bourgeois.

— Pourquoi donc, citoyen, s’il est permis que je vous interroge à mon tour.

— Surtout par habitude, un peu par paresse, et aussi